Galerie

Ne pas aller quelque part

Du 8 novembre au 13 décembre 2025
Dessins, peintures, installation

 

Quoi de mieux que les mots qu’Anaëlle Clot choisit avec beaucoup de soin pour nous donner envie de découvrir son œuvre.

 

« Ne pas aller quelque part » fait écho à mes vadrouilles en forêt, seule dans l’idéal, sans destination précise. Je pèse le mot vadrouille, pas très sérieux aux yeux de notre société car il ne s’agit pas de randonnée ni de sport mais d’errance contemplative. De manière plus large, ne pas aller quelque part c’est aussi refuser – autant que possible – la société de la vitesse et l’injonction à la performance.
Voilà pour le titre et pour la vie.

En ce qui concerne les œuvres présentées dans l’exposition, j’ai créé plusieurs séries de peintures et dessins, en grande partie réalisées pour l’occasion. J’ai également créé une grande tapisserie pour l’une des salles, mes dessins étant propices à la répétition et à une forme de prolifération. Sur le mur au fond du couloir je réalise aussi un dessin mural, de taille modeste soyons honnêtes.

Cette exposition s’inscrit dans la continuité d’une démarche sensible au long cours, qui porte sur mon rapport au vivant non-humain, à mon environnement proche, au temps, à l’observation, à l’hybridation entre réel et imaginaire, à l’impermanence de la matière et à l’émerveillement comme forme de résistance aux forces mortifères qui détruisent tout sur leur passage. Pardon pour la grande phrase mais c’est bien de ça dont il s’agit : mettre un peu de baume sur des plaies béantes.

Quelques mots sur les différentes séries d’œuvres présentes dans l’exposition :

Germinations Ruminations

Je poursuis une série de dessins commencée en 2022 à mon retour de la maternité. Le texte visible sur ma photo portrait – Je suis un animal – en résume l’essence : ce texte dessiné fait référence à mon accouchement et plus largement au fait que l’on oublie trop souvent que nous sommes des animaux aucunement supérieurs aux autres espèces.

Il s’agit ici de cinq formats plus grands que le A4 que je m’impose habituellement. Cette série, c’est un processus de digestion du monde qui m’est nécessaire et que j’aime qualifier de compostage émotionnel. C’est aussi un travail de recherche formelle et à force, une sorte de journal, d’écriture dessinée. Les sujets sont vagabonds : branches en bataille, nid vide, étrange tournesol en forme de colonne vertébrale, cartographie sensible …

Tout ça en éprouvant un plaisir infini à dessiner des courbes, en noir et blanc, sans fard.

Champignons liquides

Réalisée à l’acrylique blanche diluée et à l’encre sur papier noir, cette série est présentée de manière fragmentée dans différents formats. Ces peintures sont des sortes d’architectures organiques et liquides, à la limite de l’abstraction. On peut y voir de la roche calcaire qui se dissout ou des champignons lignicoles en train de fondre. Cette série évoque le passage du temps, le temps long et son effet sur la matière, le temps géologique, celui qui nous dépasse.

Feuilles mortes, sols vivants

Cette série de feuilles a pour moi un double rôle : intime en premier lieu car elle fait partie d’une sorte de processus de deuil, qui m’aide à supporter (et non à accepter) le déclin de la biodiversité (et mon propre déclin aussi probablement) en trouvant de la beauté dans la dégradation, dans la sénescence. Le deuxième rôle c’est d’évoquer la vie des forêts et le cycle de décomposition de la matière organique qui devient humus et qui permet que d’autres arbres et plantes poussent à nouveau. C’est, ici aussi, parler du temps long et se diluer, en tant qu’humain, dans la matière.

Ce qu’il y a d’inhabituel pour moi dans la démarche, c’est que je dessine d’après des feuilles mortes récoltées dans mon jardin ou dans la forêt lors de mes vadrouilles. Habituellement, j’observe, je ne prélève rien, je dessine uniquement d’après mes souvenirs inexacts. Ici, j’ai sélectionné les feuilles méticuleusement, pas tellement pour l’essence de l’arbre d’où elles sont tombées, mais selon le degré de décomposition de celles-ci. J’analyse également leurs formes, leurs contours, je les observent en contre-jour : la lumière révèle les parties manquantes et les feuilles deviennent territoires d’ombres.

Une fois sélectionnées, je recopie uniquement les contours des feuilles et les modifient à ma guise en ajoutant des trous, des morsures. Le but étant de se détourner d’un dessin naturaliste qui ne m’intéresse pas et créer un langage qui fasse coexister ombre et lumière, envers et endroit, vie et mort.

L’idée de transformation est au cœur de ce processus.

Lichens flammes

Le lichen m’inspire car il est le résultat d’une symbiose entre une algue et un champignon. Dans le contexte actuel de disparition des espèces et d’effondrement du vivant j’aime penser le lichen comme un symbole de résistance, d’adaptabilité, de coexistence et de continuité. Dans cette série de peintures sur bois, je représente les lichens librement dans des tons de jaunes qui passent à l’orange puis au rouge, comme du feu. On peut y voir de la beauté et de l’espoir – la flamme qui est en chacun·e de nous, la force de vie – mais aussi la destruction par le feu, le danger et l’urgence.