Dessins d’hier et d’aujourd’hui
Exposition des dessins de Frédéric Pajak du 18 janvier au 8 février 2025
À l’occasion du Manifeste incertain 10, dont l’un des thèmes est celui du voyage – de l’Angleterre au Canada en passant par le Mexique pour Malcolm Lowry ; de la Suisse à New York en passant par Paris et l’Italie pour Giacometti –, la galerie accueille Frédéric Pajak et vous invite à un périple pictural qui s’étire sur cinquante ans de création.
Le dessin de Pajak est un voyage. Comme tout artiste, son art est un parcours : on y décèle un début, une progression, des formes récurrentes, des traits réitérés, des étapes.
Le dessin comme le miroir d’un regard en mouvement
Dans ses premiers dessins, Frédéric Pajak donne à voir des figures aux corps courbés et aux longs nez. Les compositions y sont sobres : il n’existe ni décor ni lieu, seulement des figures qui, dans leur simplicité, disent l’essentiel. Loin d’une ambition mimétique, ces représentations dégagent une expressivité saisissante : chaque trait est pesé, chaque ligne chargée de sens.
À ces figures s’ajoutent des paysages : des villes esquissées par des traits rapides, des traits sûrs de leurs trajectoires. Ni photo ni modèle ne guident ces dessins, mais l’imagination et les souvenirs d’un artiste pour qui, comme Rimbaud, les routes du voyage sont devenues pèlerinage et réservoir créatif.
Frédéric Pajak est un grand voyageur. L’errance fait partie de sa vie comme de son art ; elle nourrit son œuvre tout autant qu’elle façonne son regard. Dès son plus jeune âge, le voyage a rythmé sa vie : d’abord l’Italie, qu’il découvre en tant que couchetiste, puis à travers différents lieux d’Europe, la Chine et les États-Unis. Qu’il s’agisse de passages fugaces ou de séjours prolongés, ces différents lieux, que l’artiste traverse et habite parfois, deviennent une partie intégrante de ses dessins, résonnant comme des échos de souvenirs, des instants gardés. Le dessin devient alors le miroir d’un regard en mouvement, un regard qui toujours se renouvelle, comme celui du voyageur.
Le voyage en mots et en dessins
Au tournant des années 2000, l’art de Frédéric Pajak évolue, il se déplace. Abandonnant ses figures aux longs nez, l’artiste se tourne vers des représentations mimétiques, sans couleur, souvent réalisés à partir de documents.
Ses dessins à l’encre, quels qu’en soient les sujets, se caractérisent par l’équilibre subtil des lignes et des surfaces contrastées, où le noir dialogue avec les espaces vides. Dans ses paysages, qu’ils soient naturels ou urbains, les traits semblent parvenir à saisir la matière même des lieux. La finesse des lignes, esseulées ou regroupées, esquisse des feuillages vaporeux, des eaux calmes, des formes architecturales empreintes de solidité. Toujours en contrastes, les espaces noirs s’entrelacent avec ceux de la page laissés blancs. Loin d’être une simple absence de matière. ces espaces blancs cristallisent l’intensité lumineuse de la scène représentée, tout en la figeant dans un instant contemplatif. Dans ses dessins avec des personnages, il règne une tension quasi cinématographique. Figée dans un lieu intime, la scène invite le spectateur à imaginer ce qui s’y passe, ce qui s’y dit peut-être ; la scène l’invite à reconstruire en pensée l’atmosphère qui s’en dégage. Mais toujours, ce qui marque le regard, c’est cet équilibre entre le blanc et le noir, entre le vide et le plein, entre la proximité et l’éloignement des lignes, conférant à l’image le double sentiment d’un instant suspendu et l’attente d’un geste, d’un mouvement de cet ensemble paradoxalement figé et dynamique.
Unissant texte et image, ses récits dialoguent sans que jamais le dessin ne se réduise à de l’illustration.
Dans son dessin, Frédéric Pajak fait du voyage une partie intégrante de sa démarche créatrice, dans laquelle la plume devient à la fois l’outil du dessinateur et de l’écrivain.
Chacun des Manifestes incertains, prenant pour sujet une figure historique – qu’il s’agisse d’un philosophe, d’un poète ou d’un peintre –, est imprégné de cette importance accordée au voyage.
Le voyage est d’abord celui du déplacement vers l’environnement et les lieux de ses personnages : pour Pavese, Pajak s’est rendu à Turin, dans les Pyrénées pour Walter Benjamin, ou encore en Russie pour la poétesse Marina Tsvetaïeva.
Mais le voyage est aussi celui de la rencontre, celle qui s’opère à travers la lecture des récits écrits par ces figures ou qui leur sont consacrés.
Avant de se faire dessinateur et écrivain, Pajak est avant tout lecteur de leurs œuvres et de leurs histoires.
Ainsi, ni simple texte illustré, ni biographie, l’œuvre de Pajak se veut hybride, un manifeste certes incertain mais dans lequel le voyage est toujours une invitation : une invitation à la rencontre et à la redécouverte de ces figures importantes qui ont habité notre monde et qui, aujourd’hui, composent notre panthéon culturel ; mais aussi une invitation au voyage dans ces lieux qu’elles ont habités ou parcourus, ces villes et ces atmosphères que la double plume pajakienne, à la fois picturale et littéraire, donne à voir autant qu’à lire.